Les personnes vulnérables font les frais de la révision de la loi sur l’asile

Co-président de Stop exclusion et responsable du comité référendaire de la révision de la loi sur l’asile en Suisse romande, Aldo Brina milite contre des mesures qu’il juge inhumaines. Selon lui, cette révision pénalisera les personnes vulnérables au lieu de traquer les abus. Interview

Entretien publié dans le site de RTSinfo.

Avec Aldo Brina, propos recueillis par Mélanie Ohayon.

RTSinfo: Pourquoi jugez-vous cette révision de loi inhumaine ?

Aldo Brina: Je préfère dire que cette révision est bête et méchante, plutôt qu’inhumaine. Le côté inhumain, je le vois surtout dans l’abolition des procédures d’asile dans les ambassades. La possibilité de faire des demandes depuis l’étranger a permis de sauver la vie de près de 2600 personnes depuis 1981.

Des exceptions sont prévues si une personne est menacée.

Les personnes qui sont venues en Suisse via la procédure dans une ambassade sont déjà des personnes dont la vie était menacée. Plus de 70% de ces demandeurs ont reçu une protection après examen de leur dossier en Suisse. En supprimant ce principe, même en y ajoutant des exceptions, des personnes menacées seront forcément écartées.

La Suisse écarterait des personnes menacées de mort dans leur pays ?

Si cette procédure ne figure plus dans la loi, il y a forcément un effet. On prétend qu’un visa humanitaire remplacerait cette disposition. Mais les ambassades auront un pouvoir total d’appréciation pour refuser ce visa. Un filtre drastique sera appliqué. Et puis au final, les demandes dans les ambassades ont débouché sur un peu plus de 4000 autorisations d’entrée en Suisse en 30 ans. Ce n’est pas aux personnes vulnérables de faire les frais de cette révision.

La révision prévoit d’accélérer les procédures, qui peuvent parfois durer plusieurs années. Etre fixé rapidement sur son éventuel avenir en Suisse, n’est-ce pas préférable ?

Il y a un large consensus sur la nécessité d’accélérer les procédures. Mais la question est : comment ? L’accélération envisagée dans cette révision prévoit une évaluation sur 30 jours, contre 300 à 400 jours actuellement. Ce délai est trop expéditif. Les instructions seront bâclées et cela pénalisera forcément certains demandeurs. Comprendre les enjeux de la procédure, faire valoir des preuves ou des traumatismes peut prendre du temps.

Un délai raisonnable selon vous ?

Si les procédures étaient ramenées à 3 à 6 mois, cela me paraîtrait un délai raisonnable. Et aujourd’hui, près de 60% des demandes sont déjà traitées rapidement, notamment les cas Dublin qui débouchent sur une non-entrée en matière.

La droite et le centre dénonce abus et criminalité pour certains requérants. La création de centre pour demandeurs d’asile récalcitrants est-elle une mesure adaptée ?

Non, pas du tout. C’est le code pénal qui sert à punir les criminels sans faire de différence entre Suisses, étrangers ou demandeurs d’asile. La loi sur l’asile doit servir à protéger les personnes vulnérables et non les punir. Elle ne doit pas court-circuiter les procédures pénales. En plus, ce qu’on entend par « récalcitrants » n’est pas clair.

La loi désigne les requérants « qui menacent la sécurité et l’ordre public ou qui, par leur comportement, portent sensiblement atteinte au fonctionnement des centres d’enregistrement ».

Pour ce qui est de la menace à l’ordre public, c’est assez clair. Mais un seul soupçon suffit. Et qu’est-ce qu’on entend par « perturber un centre »? Selon quels critères placer quelqu’un dans ces centres? Qui prendra la décision? Et comment une personne pourra-t-elle faire recours? Sans réponse précise à ces questions, les assignations revêtiront un caractère arbitraire.

Dans votre campagne vous utilisez un terme fort pour qualifier ces centres, celui de « camp ».

Nous ne savons pas quelle forme prendront ces centres. Seront-ils semi-fermés ? Avec des restrictions de périmètre ? Cela peut rapidement ressembler à des camps oui.

Les demandes d’asile ne cessent d’augmenter depuis 2005. Que préconisez-vous pour gérer cet afflux ?

Vu les fluctuations connues dans le passée, on peut aussi envisager une stabilisation, voire une diminution des demandes d’asile ces prochaines années. Mais en conjoncture haute, il est nécessaire de trouver des structures d’hébergement et surtout donner des moyens supplémentaires à l’Office fédéral des migrations pour traiter les demandes rapidement. Si l’on considère que l’asile est une telle priorité, elle doit faire l’objet de dépenses supplémentaires.

Les Erythréens sont spécialement concernés par la révision. Le refus de servir n’est plus un motif d’asile.

Nous sommes fermement opposés à cette modification. Il n’est plus question ici de débusquer des abus, mais de restreindre la définition du réfugié. Les déserteurs en Erythrée s’exposent à des peines sévères, franchissant le seuil de la torture. En Suisse on considère trop souvent que les réfugiés souhaitent venir chez nous parce que c’est un pays merveilleux, en oubliant qu’avant tout ils fuient des conflits ou des dictatures.

Mais la révision prévoit des exceptions pour les personnes menacées.

On voit bien qu’il est question de réduire l’asile, tout en affirmant le contraire. Le problème, c’est qu’on ne sait pas exactement comment cette nouvelle disposition sera appliquée. Mais nous sommes inquiets car il y a clairement à l’origine de cette révision une volonté de restreindre le nombre de personnes qui obtiennent le statut de réfugié et en premier lieu les Erythréens.

 

 

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