«Ces mesures ne sont pas une solution», dit Msg Morerod au Courrier

Les Eglises suisses s’opposent à la révision de la loi sur l’asile qui passe en votation le 9 juin. Mgr Charles Morerod dénonce en particulier le fait que les requérants ne puissent plus demander l’asile dans les ambassades.

L’article a été publié par Le Courrier le 30 mai 2013. Vous pouvez le consulter ici.

« La politique n’est pas a priori sa tasse de thé. Mais l’importance de l’enjeu justifie à ses yeux de sortir de sa ­réserve naturelle. Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, explique pourquoi les évêques suisses refusent la révision de la loi sur l’asile en votation le 9 juin. Une position établie de concert avec la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, l’Eglise catholique-chrétienne et l’Armée du salut. Interview. »

Pourquoi les évêques s’opposent-ils à la révision de la loi sur l’asile?
Mgr Charles Morerod: Un des principaux points, c’est l’abolition de la possibilité pour les requérants de déposer une demande d’asile dans les ambassades de Suisse à l’étranger. Nous nous sentons obligés en l’espèce de faire comme tous les pays qui nous entourent. Ce qui revient à nous mettre à la remorque des autres.
Mais surtout, les requérants qui ne pourront plus demander l’asile sur place dans une ambassade seront plus ou moins condamnés à recourir aux services de passeurs pour venir en Suisse. On encourage ainsi des réseaux criminels, on risque même d’encourager des criminels à venir au lieu de prendre en compte les plus pauvres et les plus démunis. Je rappelle au passage qu’au cours des 30 dernières années, on a pu par le biais des demandes dans les ambassades faire entrer 4300 personnes dont 2600 n’auraient probablement pas survécu si on ne les avait pas ­accueillies.

L’autre point que vous contestez, c’est le fait que la désertion ne sera plus considérée comme motif donnant droit à l’asile.
Les déserteurs qui refusent de servir dans l’armée de régimes totalitaires sont effectivement en danger manifeste, et de ce fait ils présentent une certaine priorité à nos yeux. Berne nous dit que cette modification de la loi ne concernera pas beaucoup de monde. Mais si peu de personnes sont concernées, pourquoi modifier la loi? En outre, on nous dit qu’on leur donnera une admission provisoire. Cela revient à les accueillir dans des conditions plus difficiles, car ils ne pourront pas trouver de travail ni voyager.

Que vous inspire le chantier ­permanent de l’asile en Suisse?
Les révisions successives de la loi sont toujours allées dans le sens d’un durcissement. En outre, on ne dit pas qu’on ne reproche aucun crime à à peu près 90% des requérants d’asile, on ne dit pas non plus que les requérants ne représentent que 0,5% de la population résidente en Suisse, et 4% de la population étrangère. Je ne nie pas que des problèmes existent, par exemple que le trafic de drogue est en partie entre les mains de demandeurs d’asile. C’est un fait aussi que les requérants d’asile participent à la surpopulation carcérale. Pour y remédier, toutefois, je ne suis pas sûr que les mesures urgentes soumises à votation le 9 juin soient la bonne solution.
Alors, que faire?
Comme la loi sur l’immigration est très restrictive, l’entrée en Suisse est devenue très difficile pour les ressortissants des Etats hors de l’Union européenne ou qui ne sont pas très qualifiés. Ces réfugiés économiques n’ont dès lors d’autre chance, s’ils veulent rester un moment en Suisse, que d’y demander l’asile. Il est tout à fait évident que la Suisse ne peut pas accueillir tous ces réfugiés économiques. Il vaudrait mieux dès lors favoriser une meilleure répartition des richesses dans le monde, de même que le développement des pays en retard – ce que la Suisse fait déjà en partie.

Vous le dites vous-même, la Suisse ne peut accueillir tout le monde!
C’est vrai. Notre politique d’asile doit donc se focaliser sur les personnes qui en ont le plus urgent besoin. Nous, évêques, sommes particulièrement sensibles au sort des chrétiens qui doivent quitter l’Irak et la Syrie. Je ne veux pas en disant cela lancer une offensive contre l’islam, même par les paroles, dans la mesure où ces violences résultent en partie de l’invasion de l’Irak par des chrétiens.

La Suisse a déjà accueilli deux contingents de chrétiens du Moyen-Orient, soit 73 personnes…
Ce n’est quand même pas très glorieux! Cela me laisse un peu songeur de savoir que le Liban et la Jordanie, pays pourtant beaucoup plus pauvres que la Suisse, accueillent des centaines de milliers de réfugiés. Nous manquons un peu de générosité!

Le PDC soutient cette révision de la loi. Comprenez-vous sa position?
Je sais que la foi ne donne pas toujours une réponse immédiate à toutes les questions, il y a une marge d’appréciation. Je comprends même qu’un chrétien ait une position différente de la mienne. Mais j’avoue que la position du PDC me surprend un peu, bien que je n’aie pas à intervenir dans la vie d’un parti, quel qu’il soit.

Est-ce vraiment le rôle d’un évêque de faire de la politique?
Nous sommes particulièrement sensibles à la question des étrangers, parce que c’est Jésus lui-même qui nous demande de les accueillir. En outre, une bonne partie des catholiques de Suisse sont des étrangers ou d’origine étrangère, et ils nous disent que cette révision les touche directement. Pour ma part, je ne veux pas faire de politique. Je pose simplement des questions. Et quand je prends position, je n’ai pas l’impression de donner des consignes de vote. Mais le fait que je m’exprime permet à un certain nombre de sans-voix de se faire entendre.

Devez-vous vous faire violence pour ­intervenir dans le débat public?
Prendre position sur des questions politiques, je ne le fais pas volontiers du tout. Il y a une part de tempérament, mais aussi la conviction que l’Eglise l’a trop fait par le passé au point d’être perçue comme un poids dans la société. C’est pourquoi il faut intervenir dans le débat public avec la plus grande prudence.

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